AMC #312 : RCR/AEI - MOUSSAFIR - FERRANDO/GALLEGO - STUDIO RIJSEL - ROBAIN GUIEYSSE


Auteur : Gilles Davoine


Périodiques
Année : 2023
Editeur : ED LE MONITEUR MONITER
Description : Utiliser le déjà-là, le mot d'ordre se fait de plus en plus pressant. Loin d'être un discours d'architecte, il est désormais repris en cœur par les politiques, les collectivités et - non sans traîner un peu les pieds - par les promoteurs. Les objectifs officiels de décarbonation, de réduction des déchets de démolition et de zéro artificialisation nette ne laissent de toute façon guère le choix. D'autant plus qu'ils sont partagés par l'ensemble de la population, qui a toujours été pour le moins réticente à la tabula rasa portée par les Modernes et à la ville construite ex nihilo sur les terrains agricoles. Une période qui n'aura été finalement qu'un intermède car, à l'échelle historique, les bâtiments délaissés ont plus souvent été considérés comme une aubaine à exploiter, une ressource à valoriser, que comme des objets de consommation à mettre au rebut une fois leur date de péremption passée. On connaît les exemples antiques du Colisée de Rome, dont les pierres ont servi à l'édification de la ville aux XVe et XVIe siècle, ou de l'immense palais de l'empereur Dioclétien à Split, tout bonnement reconverti en une cité toujours vivante. Ces pratiques de recyclage sont redevenues courantes ces dernières années, comme le montrent plusieurs réalisations publiées dans ce numéro, notamment ce bâtiment de bureaux des années 1970 transformé en immeuble multi-usage dans le cœur de Paris (p. 34), ou cette prison des années 1930 devenue école puis centre social à Reus en Espagne (p. 42). A dire vrai, ce mode opératoire avait même commencé dès la fin du XXe siècle, bénéficiant alors du regard patrimonial porté sur les bâtiments industriels, parmi les premiers à être préservés et reconvertis, comme le rappelle notre dossier (p. 53). Mais le mouvement prend une telle ampleur aujourd'hui, qu'il pourrait bien s'agir d'un changement de paradigme : à Paris intramuros, 70 % des autorisations d'urbanisme déposées concernent désormais des opérations de transformation. Ce qui devrait également changer l'enseignement reçu dans les écoles d'architecture. Car fonder le projet sur le déjà-là nécessite de comprendre en profondeur l'édifice existant, d'étudier de près ses qualités, voire d'entrer dans la tête du concepteur initial, pour en exploiter tout le potentiel et créer des espaces non standards. Et au final, doter le projet d'une charge émotionnelle plus forte. Une chance à saisir pour, enfin, réconcilier la population avec l'architecture contemporaine.