D'architectures #311 : Dossier : les lieux de la mort, le grand tabou
Périodiques
Année : 2023
Auteur : Emmanuel Caille
Editeur : SOCIETE D EDITIONS ARCHITECTURALES SEA SOSIET EDISION ARCHITEKTURAL
Description : Le pire endroit pour les morts ? Il y en a dans tous les villes et villages de France, des lieux où l’on devrait avoir envie de se promener, des lieux qui devraient être les plus beaux parce que l’on peut y vivre des moments intenses, ou y rester peut-être pour l’éternité… Occupant de vastes superficies, souvent placés en plein milieu urbain, ils sont les parcs ou jardins qui nous manquent tant aujourd’hui. Et pourtant qu’ils sont laids et sinistres nos cimetières, royaume du kitsch funéraire où règnent fleurs en plastique et plaquettes de granit poli venues de Chine. Le concept de nos cimetières, hérités d’un temps où l’on vivait pendant des générations sur la terre de nos ancêtres, est devenu complètement obsolète. Mais personne ne paraît remettre en cause ce monde, sans doute parce qu’on le subit dans l’urgence et le désarroi, parce qu’il est trop tard, parce qu’on préfère ne pas y penser, mais aussi parce qu’il est soumis au lobbying du business funéraire, bien installé. Il n’y a qu’à voyager de Stockholm à Igualada en passant par Modène pour découvrir qu’un cimetière n’est pas forcément sinistre. Chez nous, leur conception ou leur entretien est confié aux services municipaux ou à des géomètres, rarement à des paysagistes ou des architectes. Il existe bien quelques rares et beaux exemples, que vous découvrirez dans ces pages, mais ils ne paraissent pas faire école. Une seule métropole, Montpellier, semble avoir pris la mesure du problème avec une magnifique extension de son cimetière de Grammont, réalisée par l’agence Traverses. Mais cette expérience, pourtant exemplaire, ne semble pas avoir ébranlé les mentalités ; les lieux des morts, qui accueillent près de 600 000 Français par an, posent des questions qui n’intéressent visiblement personne. Oui, pendant encore longtemps la France devrait rester le pire endroit pour les morts !

D'architectures #313 : La scène architecturale slovaque
Périodiques
Année : 2023
Auteur : Emmanuel Caille
Editeur : SOCIETE D EDITIONS ARCHITECTURALES SEA SOSIET EDISION ARCHITEKTURAL
Description : Et si la crise du logement était une bonne nouvelle ? Pour les 13 % de mal-logés en France, ce n’est certes pas une bonne nouvelle, mais doit-on vraiment plaindre un secteur de l’immobilier privé qui, ces dernières années, a fait des milliards de bénéfices en produisant un habitat généralement médiocre et sans pour autant produire assez de logements ? Doit-on regretter que l’on ne puisse plus détruire assez de terres arables pour étaler un pavillonnaire qui tue les villages et détruit les paysages ? Doit-on se réjouir que – comme en 2008 – on demande aux bailleurs sociaux, qui font plutôt bien leur travail, de racheter les invendus du secteur privé ? En clair de les obliger à acquérir des « produits » qui n’ont pas les standards de qualité qu’ils auraient exigés de leurs architectes. Vite ! Il faudrait que l’État injecte des financements alors que s’amplifie la mauvaise fluidité des parcours résidentiels, que 30 % des ménages voudraient déménager pour des logements plus petits ? Que près de 9 millions de logements peu occupés comportent au moins trois pièces de plus que de personnes, quand 1,5 million de logements sur-occupés comportent moins de pièces que d’habitants* ? Et puis ne faut-il pas prendre au mot le président de la République qui a déploré qu’avec les niches fiscales, on ait « créé un paradis pour les investisseurs immobiliers » ? Gageons qu’il doit se réjouir que l’ONG Oxfam, dans son rapport du 4 décembre 2023**, dénonce le désengagement de l’État qui depuis des décennies a bénéficié au secteur privé et aux investisseurs financiers, générant un système qui « transforme le logement en un produit financier, et aboutit à une gestion avant tout “financière” du logement ». Un secteur qui, rappelons-le, sans qu’aucune responsabilité lui ait été conférée, décide souvent seul, et suivant ses objectifs de profits, du monde que nous habitons. L’approche quantitative et financière du logement est un échec patent et un facteur d’inégalités. La crise actuelle devrait nous pousser à remettre en cause ce modèle délétère. Elle relève évidemment de causes multiples : hausses des taux d’intérêt, refus massifs des maires de construire sur leur commune, augmentation du prix des matériaux, profits inutiles et indécents des promoteurs immobiliers, marges confortables des entreprises du BTP, mauvaise fluidité des parcours résidentiels, ratés de l’aménagement du territoire… Espérons alors que si l’État intervient financièrement, ce soit d’abord en réinvestissant chez les bailleurs sociaux et qu’ensuite il se saisisse de cette opportunité pour transformer et assainir ce modèle obsolète. Un système où l’intérêt public retrouvera son rôle, ou construire des nouveaux logements pourra se réduire à autre chose que des « macrolots », en transformant par exemple les bureaux en logements, en facilitant toutes les initiatives individuelles pour densifier le parc pavillonnaire (comme le promeut le collectif iudo), en encourageant la mobilité résidentielle, en stimulant l’adaptabilité du bâti… bref, un monde où les architectes devront eux aussi s’adapter pour rester indispensables.

D'Architectures #310 : Les matériaux naturels au secours du climat ?
Périodiques
Année : 2023
Auteur : Emmanuel Caille
Editeur : SOCIETE D EDITIONS ARCHITECTURALES SEA SOSIET EDISION ARCHITEKTURAL
Description : Vous reprendrez bien un peu de biosourcé ? Le monde du bâtiment n’échappe pas à la polarisation des débats, l’opposition caricaturale entre les thuriféraires de la construction bois et la vieille garde des bétonneux n’étant pas la moins active sur le marché de l’invective. La ligne que d’a tient depuis toujours n’a pas changé : il n’y a pas d’architecture écologique en soi, il y a une bonne ou une mauvaise architecture ; il n’y a pas de mauvais matériaux, il y a un bon ou un mauvais usage des matériaux. Aujourd’hui, pour répondre au défi de la décarbonation, l’importance est essentiellement mise sur l’origine des matériaux. Or, et c’est le sujet de notre dossier de rentrée, ceux-ci ont une incidence sur le bilan carbone des bâtiments moins importante qu’on ne le pense. D’autre part, le cadre normatif et les méthodes de calcul de ces bilans sont loin d’être satisfaisants. Il ne faudrait pas pour autant décourager l’emploi des matériaux biosourcés, bien au contraire, car même si leur impact est très loin d’être suffisant pour nos objectifs de décarbonation, on ne pourra pas y arriver sans eux. Mais si l’on veut convaincre de la pertinence de leur emploi, il faut que leur efficacité soit mesurée à sa juste valeur. Il y a d’autre part un risque à tout faire reposer sur l’usage des matériaux dit « naturels », c’est de faire croire qu’en remplaçant les matériaux conventionnels par des matériaux biosourcés, c’est-à-dire en substituant notre hyperconsumérisme par un autre – certes, un peu plus vertueux –, nous éviterions l’inévitable changement de paradigme auquel nous sommes confrontés. Questionner l’intérêt de leur emploi, c’est donc aussi implicitement s’interroger sur un problème qui fait peur à tout le monde : peut-on continuer à construire autant ? Le type de question idéal pour relancer de nouvelles polémiques caricaturales. À nous donc de faire en sorte de poser plus sereinement les termes du débat ; rendez-vous est pris pour la suite…

D'Architectures #312 : Dossier : Bassin minier du Nord-Pas-de-Calais : l'héritage comme ressources
Périodiques
Année : 2023
Auteur : Emmanuel Caille
Editeur : SOCIETE D EDITIONS ARCHITECTURALES SEA SOSIET EDISION ARCHITEKTURAL
Description : Monument vivant Dans notre imaginaire, le monument est associé à des édifices emphatiques ou à des tombeaux. L’idée de le qualifier de « vivant » peut donc surprendre, comme si les deux termes étaient antinomiques, car nous viennent à l’esprit une pyramide, une cathédrale ou une villa Savoye, bâtiments qu’il serait inconcevable de modifier. Le monument, « chose dressée pour la mémoire du futur », est souvent fétichisé au nom d’un passé idéalisé, enserré dans une nostalgie mortifère. En inscrivant le Bassin minier du Nord-Pas de Calais sur la Liste du patrimoine mondial au titre de « paysage culturel, évolutif et vivant », l’UNESCO et ceux qui ont bataillé pour cette inscription se sont judicieusement démarqués de cette vision passéiste. Le patrimoine ne peut plus se réduire à une collection d’icônes instagrammables destinées à être vénérées par des hordes de touristes comme des reliques. Cette nouvelle manière d’envisager les questions patrimoniales fait écho à la révolution qui ébranle le monde de l’architecture depuis quelques années. Si la conception spatiale et l’intelligence constructive restent bien sûr les qualités essentielles qui légitiment le rôle social de l’architecte, les nouvelles générations sont beaucoup plus investies dans une vision élargie de leur mission. Liée aux enjeux environnementaux, cette prise de conscience politique – que l’on retrouve chez la majorité des lauréats du Prix d’architectures – témoigne d’abord d’un attachement fondamental aux questions de la préservation du bâti existant et à sa potentialité de générer des processus de projet au-delà de la commande initiale. Un élargissement aussi spatial – le paysage alentour – que relationnel, dans le dialogue qu’il tente d’instaurer avec les édiles ou les habitants. De l’Artois au Valenciennois, le Bassin minier est un paysage dont l’histoire a généré une richesse sédimentaire considérable, tant les trois derniers siècles y ont imprimé de bouleversements. Des riches terres agricoles à la révolution industrielle et ses mines de charbon, des guerres destructrices aux reconstructions et aux crises économiques, la région repose sur un patrimoine – tant humain que paysager – au formidable potentiel. Ce n’est pas tel puits de mine, terril ou même coron qui justifie cette patrimonialisation, mais la potentialité de relation et de transformation qui les unit à l’échelle du paysage. En ce sens, on peut dire que ce qui fait la richesse patrimoniale de cette inscription est encore à venir et c’est pourquoi elle relève pleinement de l’architecture.

D'Architectures #304 : L'architecture se réinvente en dehors des grandes métropoles
Périodiques
Année : 2023
Auteur : Emmanuel Caille
Editeur : SOCIETE D EDITIONS ARCHITECTURALES SEA SOSIET EDISION ARCHITEKTURAL
Description : Renversement Tétanisés par la laideur des entrées de ville, nous n’avons pas vu à temps combien c’est le territoire français dans son ensemble qui était lui aussi contaminé, comme par métastase, par la transformation brutale des paysages. Si nos grandes villes bénéficient depuis longtemps d’une ingénierie urbaine aux compétences requises, rodées à l’organisation de concours de maîtrise d’œuvre, qu’en est-il des petites villes, des bourgs et des campagnes? Les CAUE et les architectes-conseils font un travail de fond précieux mais n’ont malheureusement qu’un rôle de conseil et sont généralement peu entendus. Seuls les ABF ont quelque autorité mais uniquement dans leur périmètre d’intervention. L’aménagement est donc laissé aux mains d’élus démunis, dépourvus de compétences et soumis à la vive pression des intérêts locaux, qu’il s’agisse de développement économique ou d’intérêts purement personnels (« Je veux mon pavillon ! »). Réagir globalement est d’autant plus difficile qu’on ne peut plus aujourd’hui opposer rural et urbain, tant ces territoires, que l’on qualifiait autrefois de ruraux, ont évolué de manières parfois très opposées les uns des autres, autant d’un point de vue économique, démographique que culturel. La situation est, à bien des égards, désespérante et l’opposition récurrente des Français à l’interdiction de l’artificialisation des sols ne porte pas à l’optimisme. Le dernier rapport du CNOA révèle par ailleurs que, comme existent des déserts médicaux, de véritables déserts architecturaux apparaissent désormais. Il n’y a par exemple plus que 13 architectes en Haute-Marne... Malgré ce sombre tableau, la résistance s’organise ; le pavillon français de la Biennale de Venise en 2016, fort judicieusement baptisé « Nouvelles richesses », montrait ce renouveau d’agences souvent jeunes qui décidaient volontairement d’opérer dans ces territoires délaissés. Nous publions maintenant régulièrement leur travail dans ces pages et le Prix d’architectures les a plusieurs fois récompensées. Mais ce que nous avons surtout voulu montrer dans ce numéro, c’est que, loin d’appliquer une méthodologie copiée – mais en plus modeste – sur celles développées dans les métropoles, ces agences inventent leurs propres stratégies ; davantage d’écoute, de dialogue, d’empirisme, de flexibilité, de prise en compte du temps long : des processus de projet qui peuvent s’accorder à chaque spécificité locale. Faisons un vœu : et si c’était au sein de ces pratiques que se forgeait le renouveau de la profession d’architecte ?

D'Architectures #305 : Populismes architecturaux, une question de goût
Périodiques
Année : 2023
Auteur : Emmanuel Caille
Editeur : SOCIETE D EDITIONS ARCHITECTURALES SEA SOSIET EDISION ARCHITEKTURAL
Description : Attention, certaines images peuvent heurter votre sensibilité. Abordant la question des populismes architecturaux, Federico Ferrari nous invite doctement ce mois-ci à ne pas céder aux anathèmes simplistes face à la grandiloquence kitsch dont s’enorgueillissent quelques maires qui se sont donné comme mission de redécorer leur ville. Face au carton-pâte haussmanno-vénitien que nous infligent ces édiles convaincus que « c’était mieux avant », peut-on d’ailleurs parler de « populisme architectural » ? Que cherchent ces maires du Blanc-Mesnil, du Raincy ou de Puteaux dont l’inculture les porte à confondre modernité et bolchevisme alors qu’ils nous infligent un péplum immobilier que ne renierait pas les Ceausescu ?

D'Architectures #306 : L'architecture, une économie en projet
Périodiques
Année : 2023
Auteur : Emmanuel Caille
Editeur : SOCIETE D EDITIONS ARCHITECTURALES SEA SOSIET EDISION ARCHITEKTURAL
Description : L’architecture, tu l’aimes ou tu la quittes Une fois de plus, la situation des architectes est pathétique : alors qu’une partie des Français sont dans la rue pour contester une loi qui vient d’être votée, les étudiants des écoles d’architecture sont aussi dans la rue mais, contrairement aux aspirants à la retraite, c’est pour que des moyens leur soient donnés afin que les décrets concernant la réforme de leur enseignement soient applicables ! Et à part eux, à gauche comme à droite, tout le monde s’en fout. Cette colère est le fruit du mépris dont est victime la profession d’architecte depuis des décennies, un mépris qui ne parvient plus à se dissimuler derrière les discours lénifiants dont nous abreuvent tous les ministres de la Culture depuis trente ans. C’est pourtant avec des soupirs de volupté que les architectes – qui prennent plutôt leur retraite après 70 ans – accueillent ces paroles flatteuses pour leur ego, préparées par des conseillers ministériels qui pallient comme ils peuvent l’inculture et le désintérêt récurrent de leurs ministres. « Enfin, nous sommes entendus ! » se congratulent-ils tous sous les lambris de la rue de Valois avant de vite désenchanter, jusqu’au prochain hochet qu’on leur tend, comme ce prix Reseda annoncé en février. Comment justifier que des écoles d’art comme l’ENSBA ou l’ENSAD (qui dépendent elles aussi du ministère de la Culture) ou les écoles d’ingénieurs soient jusqu’à deux fois mieux dotées par étudiant que les ENSA ? Pourquoi ne donne-t-on pas à ces dernières les moyens d’appliquer la réforme de 2018 qui avait pourtant fait consensus et que les écoles ont vaillamment tenté de mettre en œuvre, s’adaptant en peu de temps aux ambitions qu’elle exigeait ? Tout ceci a été dit, écrit et répété dans ces pages et ailleurs, dans les assemblées générales des étudiants et enseignants en grève et maintenant dans la rue. L’abandon dont semble faire preuve l’administration par la fin de non-recevoir qu’elle renvoie aux manifestants ne cache-t-il pas en réalité son embarras face à son impossibilité de leur répondre ? L’architecture n’a jamais été une priorité à la Culture et le financement des écoles, même très légèrement augmenté comme cela a été le cas récemment, passera toujours en dernier. On avait espéré que le rapprochement avec les universités, acté par la réforme, excellente chose en soi, aurait tiré les ENSA vers le haut (c’est le « S » pour « supérieure »). Le moment est donc venu de se demander ce que font les écoles d’architecture à la Culture alors qu’un autre ministère porte dans son intitulé même la définition de ce que devrait être l’architecture en 2023 : la Transition écologique et la Cohésion des territoires ? Et sur les 15 milliards d’investissements consacrés à la transition énergétique et écologique promis par le président de la République, n’est-on pas en droit d’espérer qu’une infime mais nécessaire partie soit consacrée à la formation de ceux qui sont en première ligne pour la mettre en œuvre ?

D'Architectures #307 : Dossier : Ventiler et rafraîchir sous le nouveau régime climatique
Périodiques
Année : 2023
Auteur : Emmanuel Caille
Editeur : SOCIETE D EDITIONS ARCHITECTURALES SEA SOSIET EDISION ARCHITEKTURAL
Description : Trop longtemps éblouis par l'injonction célèbre de Le Corbusier l'architecture est le "jeu savant, correct et magnifique des volumes assemblés sous la lumière", les architectes ont négligé la maîtrise de l'air et des ambiances dans la conception de leurs projets, s'en remettant au bas coût des énergies fossiles pour régler les problèmes de régulation thermique. On redécouvre aujourd'hui d'ingénieux procédés ancestraux de rafraîchissement qui, perfectionnés par la modélisation numérique, offrent des alternatives prometteuses aux climatisations énergivores. Pour l'architecture, c'est une excellente nouvelle : bourrer les plénums d'équipements aérauliques a toujours été un pensum pour les architectes qui, longtemps, se sont défaussés sur les compétences des ingénieurs. L'art du plénum consistait surtout à le faire disparaître, un exercice pour le moins ingrat. Mais à partir du moment où la régulation thermique de notre corps et les sensations qu'il éprouve ne sont plus déterminées par des systèmes mécaniques mais par la configuration de l'espace, de son orientation ou de sa matérialité, alors la question climatique redevient une question architecturale majeure. Nous sommes allés ce mois-ci à la recherche des architectes qui, à des échelles de programme fort différentes, sont parvenus à montrer la pertinence de ces dispositifs passifs de régulation et à en faire une question architecturale.

D'Architectures #309 : Dossier - Ukraine : ce que la guerre fait à l'architecture
Périodiques
Année : 2023
Auteur : Emmanuel Caille
Editeur : SOCIETE D EDITIONS ARCHITECTURALES SEA SOSIET EDISION ARCHITEKTURAL
Description : Leçons d’Ukraine En temps de guerre, lorsque l’essentiel est de sauver sa peau, on pourrait croire que l’architecture est la dernière chose qui compte. Depuis l’ère industrielle, le bombardement n’incarne-t-il pas la volonté même de détruire l’architecture ? En 2011, l’exposition de Jean-Louis Cohen – « Architecture en uniforme » – avait déjà montré combien la période de la Seconde Guerre mondiale avait pourtant été fertile en réflexions, en posant bien souvent les fondements de ce que serait la reconstruction. En frappant intentionnellement les habitations et le patrimoine ukrainien, la guerre d’agression russe fait aujourd’hui ressurgir du passé les images dramatiques des destructions de Guernica ou du Havre. Peut-il encore y avoir une place pour penser l’architecture sous ce régime de terreur ? Oui, répondent sans hésiter les architectes ukrainiens et leurs étudiants. Et ils ne se contentent pas de travailler à protéger et à reloger dans l’urgence les déplacés et les victimes des destructions ; alors que le conflit engendre une catastrophe écologique d’une ampleur considérable, leurs réflexions s’ancrent d’emblée dans les questions de la transition environnementale, que ce soit pour les nouvelles constructions, la réhabilitation du gigantesque parc de logements hérité de l’époque soviétique – pour laquelle nous avons fait dialoguer à distance Anne Lacaton et Oleg Drozdov – mais aussi pour les manières de recycler les millions de tonnes de gravats qu’engendrent chaque jour les bombardements. Ils puisent dans leur tragédie une créativité empreinte de l’espoir que le monde d’après soit meilleur que celui d’avant. Ce conflit est aussi pour les Ukrainiens un choc culturel qui les oblige à regarder leur patrimoine, profondément intriqué avec celui de leur voisin envahisseur, dans une perspective décoloniale. Autant dire que l’Ukraine pourrait bien se tenir aux avant-gardes de nos propres interrogations.

D'Architectures #314 : Village des athlètes : une ambition à l'épreuve du réel
Périodiques
Année : 2024
Auteur : Emmanuel Caille
Editeur : SOCIETE D EDITIONS ARCHITECTURALES SEA SOSIET EDISION ARCHITEKTURAL
Description : Alors que personne ne propose de solutions crédibles pour sortir de la crise du logement – peut-être parce qu’à court terme il n’y en a pas et qu’à long terme il faut un sacré courage politique –, une petite ville de 52 hectares accueillant notamment 2 807 logements vient d’être livrée en Seine-Saint-Denis en « seulement » trois ans d’études puis trois ans de chantier. Quand on veut, on peut, serait-on tenté de conclure… Ce Village des athlètes, qui accueillera 14 500 sportifs pendant les Jeux olympiques avant d’être habilement transformé en logements, se voulait la vitrine des savoir-faire français, n’incarnant rien de moins que « l’urbanisme du XXI e siècle grâce à sa performance énergétique, sa neutralité carbone et une forte valorisation de la biodiversité ». Pendant qu’à Notre-Dame on nommait un général de corps d’armée pour mener le chantier à terme, le Village olympique se trouvait un amiral en la personne de l’académicien Dominique Perrault qui, en roi de la métaphore, proposait un urbanisme tout militaire avec de grands navires amarrés aux berges. Furent ensuite convoqués des urbanistes, des paysagistes et des architectes parmi les meilleurs de leur génération afin que ce plan d’une redoutable efficacité puisse répondre aux promesses d’un aménagement « désirable », « imaginé pour favoriser le “vivre-ensemble” et le développement d’une société inclusive 2 » (sic). On s’est vanté d’employer massivement du « béton bas carbone », cet oxymore, puissant agent du greenwashing ; tout devait être biosourcé, en bois et hautement recyclable, mais les promesses chiffrées annoncées lors du lancement de l’opération ont aujourd’hui disparu des sites promotionnels. Les délais, plutôt courts, et les objectifs mirobolants de neutralité carbone ont eu le mérite, une fois confrontés à la dure réalité des réglementations et du marché, de montrer à quel point la révolution du monde de la construction est encore loin de solutions à l’échelle des défis environnementaux. En attendant, on se réjouira d’innovations qui, à n’en pas douter, entreront dans les annales des Jeux, comme ce système de recyclage du caca dans les sous-sols d’un immeuble 3 ou ces « bulles d’air purifiées ». Il faudra cependant attendre le départ des athlètes et l’arrivée des habitants pour juger de l’aménité de cet imposant morceau de ville qui n’a rien d’un village gaulois.

D'Architectures #315 : Logements : espaces partagés, espaces fragiles
Périodiques
Année : 2024
Auteur : Emmanuel Caille
Editeur : SOCIETE D EDITIONS ARCHITECTURALES SEA SOSIET EDISION ARCHITEKTURAL
Description : « Vivre-ensemble », mais à quel prix ? La crise du logement est sans cesse réduite à une question quantitative : trop peu nombreux, trop chers et trop petits. Pourtant, jamais il n’y a eu autant de logements aussi grands et par habitant. C’est le rapport que chacun entretient désormais avec l’espace qu’il habite qui a changé et qui rend obsolètes les critères trop exclusivement quantitatifs. Un logement était autrefois beaucoup plus partagé : on avait plus d’enfants, différentes générations vivaient sous un même toit et on le partageait souvent avec des personnes hors du cercle familial – apprentis, confrères ou employés. On vivait surtout dehors – et pas seulement à la campagne – parfois parce qu’il y faisait plus chaud que dedans et sans doute aussi pour échapper à la promiscuité. Dans l’espace public comme chez soi, on partageait. On pourrait dire que l’on n’était pas vraiment chez soi dans sa maison et que, dehors, on se sentait un peu chez soi ! L’habitat bourgeois a depuis circonscrit l’intimité domestique, refermant le logement sur la cellule familiale, au point que le terme cellule est devenu une synecdoque : on emploie ce terme pour parler d’un appartement. Tant qu’il y a assez de place pour tous, cette évolution sociologique n’engendre pas de crise. Mais lorsque l’offre ne répond plus à la demande, faut-il faciliter la fluidité résidentielle, construire toujours davantage ? Et si l’on commençait par mutualiser certains espaces exigeant moins d’intimité – jouer, travailler, laver son linge – ou un usage exceptionnel – faire la fête, accueillir des amis. Après Godin et son familistère, Le Corbusier avait eu l’idée d’un espace privé mais partagé par tous les habitants sur le toit des Unités d’habitation. Ces lieux mutualisés sont assez répandus dans les pays scandinaves, en Suisse ou en Espagne, mais pourquoi y en a-t-il si peu en France ? La majorité d’entre eux n’auraient pas fonctionné et ont fini par être abandonnés ou privatisés. Les Français, ces champions de la clôture de jardin infranchissable, incorrigibles individualistes, seraient-ils incapables de vivre sereinement ensemble ? Pourtant, des architectes persistent à proposer des lieux partagés dans les habitations collectives qu’ils conçoivent, une tendance que les promoteurs privés reprennent maintenant dans leur argument de vente. Les aspirations et les comportements des habitants auraient-ils changé ? Est-ce uniquement par nécessité face à l’exiguïté de leurs logements ou parce que les usages de ces espaces sont mieux encadrés ? Nous avons interrogé bailleurs et architectes sur la réussite ou l’échec de leurs expériences. Leur première leçon est qu’il ne suffit pas de créer un local commun et de penser qu’il fonctionnera tout seul. Sa conception, sa planification et son mode de fonctionnement doivent faire l’objet d’une étude préalable approfondie. Et sans gestion rigoureuse par les habitants ou un tiers, faire advenir ce « vivre-ensemble » – mantra auquel tout le monde aspire sans vouloir en payer le prix – restera un rêve d’architecte.

D'Architectures #321 : Prix D'Architectures 10+1
Périodiques
Année : 2024
Auteur : Ibai Rigby
Editeur : SOCIETE D EDITIONS ARCHITECTURALES SEA SOSIET EDISION ARCHITEKTURAL
Description : Le Prix d’architectures 10+1 2024 Par Ibai Rigby, président du jury du Prix d’architectures 10+1 2024 Le Prix d’architectures 10+1 se distingue par son approche immersive, valorisant l’engagement direct avec les bâtiments, leurs concepteurs et utilisateurs. Contrairement à d’autres prix fondés sur des présentations visuelles, le Prix d’architectures refuse la passivité d’un diaporama ou d’un fil Instagram. Ici, ni catégories fixes ni critères prédéfinis : le jury élabore ses choix collectivement au fil des visites. Nous sommes allés voir 33 bâtiments à travers l’Hexagone, une odyssée marquée non seulement par les kilomètres parcourus, mais aussi par la richesse des échanges et des rencontres. Chaque visite a donné lieu à des discussions avec les architectes, les commanditaires, ou les usagers, que ce soit sur place, autour de repas partagés, ou lors de voyages ensemble. C’est dans ces moments que la xenia, l’hospitalité grecque, a pris tout son sens. Nous avons été accueillis chaleureusement dans les bâtiments et avons partagé des moments privilégiés avec ceux qui les ont créés ou commandités. Au-delà de l’hospitalité, cette odyssée a transformé nos perspectives. Chacun est arrivé avec des idées préconçues, vite remises en question par la complexité des projets et la réalité de l’architecture en France en 2024. En ce sens, ces réalisations reflètent un moment unique de culture et d’architecture.

D'Architectures #316 : Réalisations / Spécial logements collectifs
Périodiques
Année : 2024
Auteur : Emmanuel Caille
Editeur : SOCIETE D EDITIONS ARCHITECTURALES SEA SOSIET EDISION ARCHITEKTURAL
Description : Entre militantisme et pragmatisme Par l’effet du décalage entre commandes et livraisons, cette année voit encore beaucoup d’opérations de logements collectifs arriver à leur terme. Nous en avons choisi neuf que nous avons pu visiter ce printemps et qui témoignent de leur capacité à refuser la fatalité des contraintes réglementaires et budgétaires. Malgré l’emploi de pierres massives pour trois d’entre elles et une transformation de bâtiment universitaire en appartements, elles s’inscrivent cependant encore dans le courant productiviste de l’économie du logement, dont la crise actuelle a révélé les effets délétères. Le parcours que nous consacrons à l’agence Brunnquell & André montre certes que parfois, comme ici dans deux chantiers parisiens – la transformation de la caserne Exelmans et la réhabilitation de HBM rue Sthrau –, il est possible de ne pas se soumettre à des pratiques que l’on croyait immuables. Mais si nous assistons enfin aujourd’hui à une prise de conscience du danger qu’il y a à perpétuer notre modèle de production, celle-ci est très loin de se traduire dans les faits : on continue à démolir, à artificialiser les sols et à employer immodérément le béton… Si le rôle des architectes est fondamental dans ces bouleversements à venir, on sait qu’il restera encore longtemps et pathétiquement dérisoire par le peu d’importance qu’il occupe dans les processus de décision économique et politique. Quelles que soient les menaces climatiques ou d’épuisement des ressources, il faudra encore de nombreuses années pour que le système change et il ne faudrait pas abandonner le type de production mortifère qu’il induit aux mains des moins concernés. Pour les autres, il faudra donc accepter d’agir entre militantisme et pragmatisme et repousser la tentation de s’enfermer dans les postures narcissiques de la radicalité.

D'architectures #318 : Dossier : Un autre confort thermique est-il possible ?
Périodiques
Année : 2024
Auteur : Emmanuel Caille
Editeur : SOCIETE D EDITIONS ARCHITECTURALES SEA SOSIET EDISION ARCHITEKTURAL
Description : Pour que le froid soit plus chaud L’appréciation de la température dans laquelle baigne notre corps est intimement corrélée à l’idée que l’on se fait du bien-être. Et ce, au point que nous pouvons difficilement imaginer que cette sensation ne soit pas consubstantielle à notre nature. Elle est pourtant le fruit d’une construction culturelle et sociale, comme le rappelle l’historien Olivier Jandot dans Les Délices du feu1. Les 20 °C qui en hiver nous paraissent être le minimum décent du confort étaient autrefois considérés comme désagréables, voire dangereux par les médecins. Jandot évoque ainsi l’expérience de l’architecte François Cointeraux (1740-1830), le célèbre théoricien du pisé lyonnais qui, ayant porté la température de la chambre de ses enfants à 20 °C, les trouva fort incommodés. Des températures de 12 à 15 °C étaient alors considérées comme agréables dans les pièces à vivre, tandis que dans les autres une température de 8 °C était considérée comme normale. Notre appétence pour la chaleur est aussi liée à une croyance ancestrale – que les découvertes de Pasteur n’ont pas encore réussi à ébranler au XXIe siècle –, selon laquelle « on attrape froid ». Or, de même que l’on n’attrape pas le Covid-19 ou la grippe avec le froid, l’origine du rhume est uniquement due à un virus et jamais à un « coup de froid ». La sensation de chaud ou froid est due à des facteurs bien plus complexes que la température de l’air, comme tente de le montrer avec constance l’architecte Philippe Rahm à travers ses expériences d’architecture par le confort thermique. L’injonction d’une répartition homogène de la température, de la maison au bureau, ne repose que sur une idée normative du confort, qui n’est nullement étayée par des études physiologiques ou anthropologiques. On se dit alors que, dans l’immense chantier de la lutte contre le réchauffement climatique, la première action concrète, une des plus économiques à mettre en œuvre dans nos contrées où la moyenne extérieure annuelle est d’environ 12 °C, serait de questionner notre phobie du froid ou, plus précisément, notre peur du « pas assez chaud ». Mais pour échapper à l’accusation de promouvoir une « écologie punitive », il faudra impérativement montrer que cette adaptation n’est pas une régression de notre cher confort, qu’elle ne relève pas d’un culte de l’ascétisme ou de la frugalité mais qu’elle est plutôt une quête d’adéquation plus harmonieuse avec notre environnement. Mieux connaître les mécanismes qui régissent nos sensations thermiques, découvrir leur complexité, c’est aussi mieux maîtriser notre rapport à notre environnement et reprendre la main sur les diktats consuméristes que nous ont sournoisement imposés certaines industries depuis plus d’un siècle. Vous aurez compris que notre dossier estival est consacré au confort thermique. Nous l’avons abordé moins dans ses dimensions performancielles que dans sa complexité anthropologique et psychologique, avec l’envie de découvrir une architecture au plus près de nos sensations. Nous sommes allés voir des architectes qui, au sein de collectifs comme SlowHeat ou Zerm, expérimentent de nouvelles relations entre le corps et l’espace et nous préparent un hiver vif et joyeux. Emmanuel Caille 1. Olivier Jandot, Les Délices du feu, L’homme, le chaud et le froid à l’époque moderne, Champ Vallon, 2017.

D'Architectures #319 : Dossier : Façades - patrimoine vivant menacé
Périodiques
Année : 2024
Auteur : Emmanuel Caille
Editeur : SOCIETE D EDITIONS ARCHITECTURALES SEA SOSIET EDISION ARCHITEKTURAL
Description : Défigurée dans l’indifférence C’est dans une indifférence à laquelle nous sommes malheureusement habitués qu’une atteinte massive au patrimoine est engagée : sous couvert de plan « Climat », une grande partie de notre bâti ordinaire est en train d’être encapsulé sous une couche de polystyrène, et ce, au mépris non seulement de ses qualités architecturales – si humbles soient-elles – mais surtout des qualités thermiques inhérentes qui sont propres à chaque type de construction. Précisons que cette catastrophe annoncée se fait avec l’assentiment de l’ensemble de la classe politique, qui pour une fois, dans un rare consensus, partage une totale acculturation à l’architecture, notamment au patrimoine du XXe siècle. Cette même ignorance qui conduit encore aujourd’hui aux démolitions absurdes menées par l’ANRU1. Sous prétexte de coefficients de performance associés à des normes à atteindre pour obtenir des subventions ou tout simplement une autorisation de construire, une course à la consommation de produits issus de la pétrochimie, non pérennes et non recyclables, est lancée. Si l’instauration du DPE (diagnostic de performance énergétique) est un progrès significatif pour lutter contre les passoires thermiques, son application conduit souvent à des aberrations. Il est en effet conçu pour s’appliquer à un modèle-type simplifié qui se heurte à toute la diversité des architectures existantes. Le culte de la performance, si bien dénoncé par Olivier Hamant2, conduit ainsi à des investissements colossaux de rénovation alors que l’on peut souvent dépenser beaucoup moins en atteignant l’essentiel des objectifs pour un bilan carbone bien meilleur, en consommant moins de ressources par exemple, voire davantage si on travaille aussi sur les comportements des habitants3. Mais surtout, ces interventions plus légères permettent de préserver les qualités patrimoniales du bâti. La complexité et la subtilité des exemples que nous montrons dans ce dossier de rentrée prouvent une fois de plus qu’on ne peut pas appliquer globalement de solutions au parc immobilier, mais que chaque cas est spécifique et doit faire l’objet d’une étude qui, elle, sera globale. Qui d’autre que le couple architecte-ingénieur a les compétences pour le faire ? 1. À venir dans le numéro d’octobre, notre dossier consacré à la gabegie des démolitions. 2. Olivier Hamant, Antidote au culte de la performance : La robustesse du vivant, Tracts Gallimard, n° 50, 31 août 2023, 3,90 euros. 3. Voir le dossier « Un autre confort thermique est-il possible ? », d’a n° 318, juillet-août 2024.

D'Architectures #320 : L'ANRU : système de démolition
Périodiques
Année : 2024
Auteur : Emmanuel Caille
Editeur : SOCIETE D EDITIONS ARCHITECTURALES SEA SOSIET EDISION ARCHITEKTURAL
Description : La prime au massacre La rage de démolition ayant atteint la France depuis trois décennies ne semble plus pouvoir s’arrêter. Le système mis en place à travers l’ANRU il y a 20 ans avance comme un rouleau compresseur devenu fou. Si la question n’était que patrimoniale – lorsque l’on détruit des architectures comme la Butte-Rouge ou la Maladrerie –, ce gâchis serait déjà très préoccupant mais, bien plus grave à l’heure de la pénurie de logement, ces démolitions coûtent beaucoup plus chères que des réhabilitations, grevant d’autant le financement de nouvelles constructions. Elles ont surtout un bilan carbone catastrophique. Pourtant les maires ne détruisent pas forcément par plaisir mais parce que ces destructions leur donnent, via l’ANRU, accès à des subventions inespérées. C’est l’effet pervers de la prime au massacre. En dehors des habitants expulsés dont l’avis compte peu et qui sont, de fait, minoritaires, cette tabula rasa suscite par ailleurs presque toujours un enthousiasme populaire tant est répandue la croyance qu’avec la disparition de ces bâtiments – insalubres par manque d’entretien –, ce sont tous les problèmes sociaux et les erreurs ou carences d’aménagement du territoire qui s’évaporent miraculeusement. La première chose à faire ne serait-elle pas d’utiliser les sommes colossales que dispense l’État dans ce carnage pour réparer et entretenir ces bâtiments ? Et comme le montre notre dossier du mois, on s’apercevrait que, dans beaucoup de cas de réhabilitations, on pourrait même se passer de cette manne. Manne dont les principaux bénéficiaires sont les promoteurs privés, dont on comprend qu’ils ont tout intérêt à prolonger ce système le plus longtemps possible. Le coût urbain et économique de la sauvegarde de certaines constructions peut à quelques rares exceptions légitimer leur démolition et sans doute faut-il se garder de tout dogmatisme, mais viendra bientôt un jour où il sera difficile d’expliquer pourquoi, alors que l’on subissait une grave crise du logement et une pénurie de ressources, autant d’argent fut mis pour le démolir.

D'Architectures #322 : Dossier : Faut-il arrêter de construire ?
Périodiques
Année : 2024
Auteur : Emmanuel Caille
Editeur : SOCIETE D EDITIONS ARCHITECTURALES SEA SOSIET EDISION ARCHITEKTURAL
Description : Moins de construction, plus d’architecture Qui aurait imaginé à l’aube du XXIe siècle que ce soient les architectes eux-mêmes qui prôneraient un jour l’arrêt des constructions comme remède ultime à l’effondrement des ressources et à la crise climatique ? Mais soyons plus précis : il s’agit moins de ne plus construire que d’arrêter de détruire des terres encore non artificialisées ou des bâtiments existants pour ériger des bâtiments neufs. Précisons également que cette injonction s’adresse d’abord aux régions du monde dont la démographie est relativement stable : les pays riches. Certes, la France subit elle aussi une forme de crise du logement, mais contrairement à ce que tentent désespérément de nous faire croire les lobbies du BTP et de l’immobilier, la pénurie – réelle – d’habitations immédiatement disponibles est due à d’autres facteurs : une mauvaise répartition territoriale due à l’hyper-métropolisation, et à la vacance ou à la sous-occupation de trop nombreux logements. Un temps, nous avons cru qu’en passant aux matériaux biosourcés et aux énergies renouvelables nous pourrions continuer comme avant. Or, si le développement de leur usage s’impose comme un impératif majeur, on sait maintenant qu’il ne suffira pas, loin de là, à décarboner suffisamment. Alors que faire ? Sommes-nous condamnés à nous entasser dans des appartements communautaires ? à dresser des yourtes ? à attendre une meilleure répartition territoriale des activités économiques – et donc de l’offre de logements –, c’est-à-dire au minimum plusieurs décennies ? Les architectes vont-ils devenir inutiles ? Non, au contraire ; cette révolution peut être une formidable opportunité pour refonder et légitimer le rôle de l’architecture et pour rendre nos paysages urbains et ruraux plus beaux et plus habitables. Car il ne s’agit pas de ne rien faire, il s’agit de faire autrement, en privilégiant la transformation du patrimoine existant, surtout le plus ordinaire. À l’opposé des bâtiments qui naissent comme des clones sur les pseudo-écoquartiers de nos banlieues et que l’intelligence artificielle peut déjà concevoir sans les architectes, la régénération de l’existant exige un immense savoir-faire et une stratégie contextuelle fine propre à chaque cas : la capacité d’établir un diagnostic savant et précis, autant en termes techniques qu’humains, et l’intelligence d’adaptation de la conception à la livraison du projet. Enquêter, dialoguer, projeter, s’adapter : qui d’autre que l’architecte serait mieux à même d’orchestrer ces compétences ? Mais la mise en œuvre de ces savoirs dans l’existant exige, à mètre carré égal, beaucoup plus de temps d’étude. Or, les budgets au mètre carré de ces opérations sont souvent inférieurs. Cet engagement vertueux – dans la mesure où il épargne le coût des démolitions et conduit à consommer moins de ressources – ne devrait-il donc pas être rémunéré à l’aune des économies qu’il génère ? Arrêter de construire pourrait ainsi paradoxalement offrir plus de travail aux ingénieurs et aux architectes : déconsommation n’est pas forcément décroissance. Faisons de l’intelligence architecturale l’une des plus puissantes énergies renouvelables.