Auteur : Société pour la Protection des Paysages et de l'Esthétique de la France
PériodiquesAnnée : 2022Editeur : SITES MONUMENTS SIT MONUMANDescription : DE L’INTÉRÊT PUBLIC
Notre dernier éditorial mettait en lumière la déconstruction théorique et normative à l’œuvre dans le domaine du patrimoine. Ce mouvement sans précédent de dérégulation est aujourd’hui assez logiquement prolongé par une banalisation de la notion d’« intérêt public » faite notamment au préjudice du patrimoine.
La loi du 31 décembre 1913 sur les monuments historiques retient précisément ce concept comme fondement des classements. Elle substitue ainsi l’idée d’« intérêt public » (voir actuel article L. 621-1 du Code du patrimoine) à celle d’« intérêt national » prévue par la loi de 1887 sur les monuments historiques. Cette nouvelle notion conférait une nature de servitude d’utilité publique au classement permettant de l’appliquer, au besoin d’office, aux propriétaires privés. Leur droit de propriété se trouvait ainsi limité au profit de la collectivité.
Le concept d’intérêt public, proche de celui d’intérêt général, n’est évidemment pas propre au patrimoine et fonde toute l’action publique. Historiquement, il a pris des noms divers : celui de bien commun, de commun profit ou d’utilité commune.
Cette idée permit notamment au monarque de légitimer et d’étendre un pouvoir normatif dont il était privé à l’époque féodale hors de son domaine. L’intérêt public (commun profit) a été, réciproquement, un critère de « constitutionnalité » de la loi du roi, contrôlée par des parlements s’opposant à sa toute-puissance. Ce concept a donc tout à la fois été un instrument de pouvoir et un critère de contrôle de l’absolutisme.
C’est pourquoi la notion d’« intérêt public majeur », coiffant les autres intérêts publics, est préoccupante, notamment en matière de développement des ENR. Sites & Monuments avait rencontré ce concept en avril 2021 dans un arrêt du Conseil d’État relatif au parc éolien de la forêt de Lanouée (Morbihan), saignée pour l’occasion. La reconnaissance d’un tel intérêt permettait en effet de déroger à l’interdiction d’atteinte à la faune protégée, abondante à Lanouée où soixante types d’oiseaux avaient été répertoriés.