Auteur : Fabien Renou
PériodiquesAnnée : 2023Editeur : ED LE MONITEUR MONITERDescription : Sur le chantier de l'autoroute qui reliera Castres à Toulouse, le bruit des engins ne couvre pas les cris des manifestants. Cette cacophonie témoigne d'un dialogue de sourds. Les uns assurent avoir limité au maximum le nombre d'œufs cassés pour faire leur omelette, quand les autres prétendent qu'il faudrait ne pas faire d'omelette du tout. Deux positions irréconciliables. Sur le terrain, l'affaire paraît entendue : le chantier bat son plein. C'est d'ailleurs l'un des paradoxes de cette histoire : la cristallisation de la contestation n'intervient qu'au terme d'une procédure régulière où tous les feux sont au vert. Après des années de concertation et de contentieux, il semble désormais inconcevable de remettre en cause un projet aussi bordé juridiquement. Qu'on le veuille ou non, l'autoroute est sur des rails (de sécurité). L'utilité publique d'un projet ne sera jamais une évidence pour tous. L'avenir, en revanche, est bien plus flou. Notre capacité de construire des infrastructures semble s'amoindrir. Par manque de courage politique ? Trop simple. En raison d'oppositions systématiques ? Trop caricatural. Ce genre de décision repose sur un équilibre précaire : les avantages de l'ouvrage, en termes de développement ou de sécurité par exemple, doivent en justifier les coûts, qu'ils soient économiques ou environnementaux. Or, de ce côté-ci de la balance, la donne a bien changé. Le prix des arbres coupés, des collines arasées ou des terres agricoles artificialisées apparaît bien plus lourd aux yeux des citoyens de 2023 qu'à ceux de leurs aînés. Les œufs de poule sont devenus des œufs d'esturgeon, l'omelette un produit de luxe. L'utilité publique d'un projet - puisque c'est bien elle, le juge de paix - ne sera jamais une évidence pour tous. Elle se discute, elle se débat, parfois dans le brouhaha. Elle évolue, aussi, selon les priorités du moment. Aujourd'hui, elles sont écologiques. Pourtant, même là, il faut arbitrer entre éoliennes et paysages, ferme photovoltaïque et espaces protégés, ligne ferroviaire et terres agricoles… Seule certitude, immuable : la décision revient aux élus, miroirs de leur époque, maîtres du fouet.