Auteur : Olivier Namias
PériodiquesAnnée : 2025Editeur : ED LE MONITEUR MONITERDescription : L'enfance des villes. Quelle que soit la forme que l'on tente de lui donner, la ville ne serait-elle qu'une question de point de vue ? Ratissant large, Rem Koolhaas brandissait en 2000 le spectre de Lagos comme futur dystopique. En invitant à reconsidérer nos villes européennes à l'aune des pays émergents, il brandissait un contre-modèle tenant de l'épouvantail. Ses confrères ne s'étaient pas privés de crier à la supercherie.
Ces dernières années, le cauchemar de la surpopulation a laissé place à celui de l'effondrement du vivant, recentrant le regard de la géographie à la biologie. La philosophe et psychologue Vinciane Despret nous invite à « habiter en oiseau », dans une logique de « zoodiversité inclusive » qui pourrait s'appliquer à de nombreuses autres espèces. L'on pourrait sans la moindre ironie imaginer habiter en mulot ou en truite, pour apprendre à regarder autrement nos espaces urbains. La légitimité des différents points de vue fait courir le risque d'un relativisme absolu finissant dans une impasse. Des outils forgés durant l'entre-deux-guerres permettraient d'en sortir. Remis en lumière par l'ouvrage Ecologie humaine (p.106), les psychologues hambourgeois Martha et Hans Heinrich Muchow distinguaient le monde de la vie (Lebenswelt) - l'espace existant objectif, à la disposition de tous - du monde vécu (gelebte Welt) propre à chacun.
Ces deux concepts étaient utilisés pour comprendre l'espace urbain tel qu'il était vécu par cet être proche et lointain que nous avons tous été : l'enfant. Si les comportements varient selon l'âge, le détournement des artefacts urbains semble une constante, et déjoue souvent les intentions des urbanistes. L'imagination invite à tirer profit des moindres accidents. C'est le fameux talus maçonné, relief source de risque qu'un réflexe tentera d'aplanir, qui devient toboggan ou montagne. Repenser l'aménagement au prisme de l'enfant n'est pas seulement faire une ville plus sûre et plus ludique, ce qui serait déjà suffisant. Aménager pour protéger l'enfant d'une circulation meurtrière qui l'a chassé de la rue (20 000 morts entre 1920 et 1930 aux Etats-Unis), c'est poursuivre le réaménagement de l'espace public et modeler lentement mais sûrement la ville postroutière.
Les « rues aux enfants » à Paris ou ailleurs sont un exemple d'une politique urbaine ciblant une population mais profitant à tous. Dans une société qui se segmente en d'innombrables familles, il faut prêter attention à cette forme d'inclusivité non exclusive !