AMC #322 : COULON - PAUMIER - DADOUR DE POUS - GRX
Périodiques
Année : 2024
Auteur : Olivier Namias
Editeur : ED LE MONITEUR MONITER
Description : Précieuses bouses Au rez-de-chaussée d'une institution parisienne émanant d'une enseigne de luxe, un globe en bouse de vache, trivial et mystérieux. Son installation entre les façades de verre de la fondation Cartier est une sorte de provocation, loin cependant de la merda d'artista créée par Manzoni en 1961. Plutôt qu'un questionnement sur l'œuvre d'art, l'architecte Bijoy Jain exposé chez Nouvel invite à repartir de zéro en regardant du côté freudien de la fécalité. Remise dans un contexte que le gourou de Studio Mumbai s'acharne à gommer, la bouse de vache prend un tout autre sens. C'est la matière première des foyers ruraux de l'Inde, l'énergie qui chauffe les aliments de centaines de communautés paysannes du sous-continent. Cette œuvre serait donc une réserve de combustible, un bien si précieux qu'il se contemplerait avec une certaine révérence dans les galeries les plus huppées de l'art mondialisé. La métaphore de la bouse s'applique certes à juste titre à nombre de constructions ne s'élevant guère au-dessus du produit de la digestion des vaches, mais aussi, à tort, à celles que l'on considère comme s'en approchant, du fait de leur architecture mal comprise ou de leur esthétique mal acceptée. Un promoteur disait dernièrement ne pas comprendre l'émotion que suscitait la démolition obstinée de l'ancien siège de l'Insee à Malakoff, bâtiment qu'il jugeait dénué d'intérêt. La « démocratie de l'énergie » veut que laides ou belles, ces architectures aient au moins une valeur en énergie stockée. Conserver cette énergie grise implique de repenser les temps du projet, de faire de la place au diagnostic, de rechercher les qualités d'un édifice qui ne paye pas de mine, de comprendre son histoire, de le valoriser plutôt que de le considérer comme un produit jetable et remplaçable. Le continent appelé « bâti existant » donne le vertige : le CSTB dénombre dans l'Hexagone plus de 27 millions de bâtiments qu'il va s'attacher à immatriculer au sein de la Base de données nationale des bâtiments (BDNB). Aux architectes d'aller au-delà de l'administratif pour connaître la personnalité qui se cache derrière la carte grise et la plaque minéralogique. Avec l'intelligence de l'espace, peut-être accompliront-ils la promesse de l'alchimie baudelairienne : tu m'as donné ta boue, et j'en ai fait de l'or…

AMC #320 : BARANI - CHRIST & GANTENBEIN - V2S / NAS - PERRAUDIN
Périodiques
Année : 2024
Auteur : Olivier Namias
Editeur : ED LE MONITEUR MONITER
Description : Ensevelie sous des topiaires jaillissant d'une prairie pentue, une fenêtre coulissante peine à trouver sa place dans un environnement où la nature a, selon l'expression consacrée, « repris ses droits ». L'arrière-plan l'atteste : nous sommes bien dans une grande ville, et sur le toit d'un immeuble. Un sommet de greenwashing ou un aperçu de l'architecture de demain ? Si l'image en couverture de ce numéro donne un aperçu du futur de l'architecture, c'est moins par ce qu'elle montre que par la manière dont elle a été conçue. Produite par l'architecte Jean Jacques Balzac au terme de descriptions textuelles (prompts) et de sélections, elle a été modelée par une intelligence artificielle. Un outil apparu presque par surprise, tandis que les multivers et autres blockchains accaparaient notre attention. Flamboyante et soudaine, l'IA se montre beaucoup plus ludique que les piteux métavers et beaucoup moins laborieuse que les chaînes de blocs. Elle fait de l'ordinateur une machine pensante incitant chaque métier à se remettre en question. L'abolition de la frontière entre le vrai et le faux, préoccupante dans le domaine de l'information, ne concerne l'architecture que de façon marginale. Qui tromper en prétendant que Le Nôtre serait revenu planter la toiture d'un trophy asset du Triangle d'or parisien ? Qui, au XVIIIe siècle, croyait qu'existaient quelque part les prisons gravées par Piranèse ? Le foisonnement d'édifices étranges ou loufoques accompagnant le lancement de cette technologie indique que l'IA parle en premier lieu à l'imaginaire des architectes, agissant à la manière d'une lampe d'Aladin commandée par la souris. Au-delà du visuel, elle peut automatiser une série de tâches fastidieuses. Ira-t-elle jusqu'à remplacer l'architecte ? Deux batailles s'annoncent. La première est de bâtir des outils propres, pour préserver la conception architecturale d'intrusions venant de l'ingénierie et de l'industrie. Le second enjeu tient au machine learning. Les réponses générées par l'IA dépendant de ses connaissances, il s'agit de faire ce qui échappe encore à la majorité des humains : lui apprendre l'architecture ! Laquelle et pourquoi ? C'est là toute la question. « Le médium est le message » affirmait Marshall McLuhan. Et en tant que médium, l'IA impose autant un environnement et ses logiques - de travail, de réflexion -qu'elle trace des plans et des images. Le mage serviable ajoutera-t-il son nom à la liste des tyrans conceptuels, déjà nombreux ?

AMC #321 : LINK - GABRION - ITAR - MASQUESPACIO
Périodiques
Année : 2024
Auteur : Olivier Namias
Editeur : ED LE MONITEUR MONITER
Description : Aux yeux du grand public, le métier d'architecte se résume à une alternative simple, définie par la ligne séparant le dedans du dehors : « Vous êtes architecte d'intérieur ou d'extérieur ? » Cette interrogation est aujourd'hui dépassée, alors que le terme remplace le plus techno « ingénieur » dans le langage courant. Les annonces d'emploi regorgent d'offres à l'attention d'architectes d'entreprise, d'architectes des réseaux ou d'architectes logiciel, un métier qui répond au code Rome M1805, surclassant le product owner et le data scientist sur le podium des professions IT les mieux payées. Sans parler de ce pâtissier autoproclamé « architecte du goût »… Tandis que l'architecte sans architecture prospère, l'architecte d'architecture, lui, se démultiplie. Dans le cadre de France 2030, une équipe du laboratoire de recherche LET-Lavue s'est penchée sur les pratiques atypiques(2). Ce phénomène identifié depuis plusieurs décennies constitue en 2023 un « fait majoritaire », avec plus de 53 % de non-inscrits à l'Ordre (lire p.10). « Le diplôme, et après ? », pouvait-on déjà lire dans l'étude dirigée par Raymonde Moulin en… 1973 !(2) Un demi-siècle plus tard, seuls 3 % des non-inscrits à l'Ordre se réorientent vers d'autres branches et quittent le monde de l'architecture. Les autres exercent des métiers en lien avec l'architecture sans tenir le crayon du maître d'œuvre. Pour les écoles, cette mutation suppose une remise en cause profonde, une adaptation des formations et des cursus. Pour la profession, elle impose une redéfinition de son identité. Le LET-Lavue a déterminé sept familles de métiers, réparties dans l'assistance à la maîtrise d'ouvrage, la médiation, la Moex… Entre elles, les intérêts divergent et les rapports ne sont pas toujours au beau fixe. Comment ces relations se règleront-elles ? Qui sera inscrit à l'Ordre ? Surtout, l'architecture et le territoire gagneront-ils à cet élargissement, à cette synergie d'intervenants rompus à la culture architecturale ? Le cercle des architectes a souvent déploré la méconnaissance de ses interlocuteurs en matière d'architecture. La parole de leurs pairs atypiques palliera-t-elle cette défaillance, et mènera-t-elle à davantage de compréhension entre la maîtrise d'œuvre et le grand public ? Typiques et atypiques, unissez-vous !

Architectures CREE #408 : Printemps 2024
Périodiques
Année : 2024
Auteur : Karine Quédreux
Editeur : MEDIARECLAME PUBLISHING MEDIAREKLAM PUBLICHING
Description : Bien que la conjoncture ne soit pas des plus optimistes, partons du principe que le futur de nos villes trouvera une expression vertueuse et durable dans les grandes mutations de ce siècle. Après tout, n’avons-nous pas su, dans nos métropoles européennes, faire face à maintes agressions économiques, sanitaires ? Le dérèglement climatique est certes un défi herculéen, sachant que nous en sommes les principaux instigateurs au nom d’un système trop avide. Il va donc falloir trouver un nouvel équilibre et recalibrer nos exigences. Difficile pour le secteur bâtiment qui confirme une entrée en récession en matière d’activité avec une crise du logement neuf, un glissement progressif d’année en année du non-résidentiel neuf, et un sort en pointillé pour la rénovation au regard du devenir incertain de MaPrimeRénov’. Dans un contexte de transition environnementale, il faut rénover plutôt que construire, chacun le conçoit désormais, mais l’intelligence énergétique reste souveraine. L’accès au logement reste cependant une priorité incontournable, étant donné les inégalités sociales grandissantes, la difficulté d’accès au foncier, et l’ensemble des freins juridiques que l’on connaît. Ainsi sonne le retour des microarchitectures dans la conquête de l’outdoor (p. 88), pensé comme un levier de croissance mais aussi comme un outil de réflexion pour parer à l’indispensable. Cette modularité d’échelle de construction interroge notre façon de penser un habitat de qualité à des coûts abordables tout en interrogeant l’idée, semble-t-il dépassée, du « plus c’est grand, mieux c’est ». Faire un meilleur usage des mètres carrés, partager des espaces, repenser le bâtiment, répondre aux principaux enjeux mondiaux en matière de climat et de santé, telle est la démonstration opérée par le concept « Living Places » à Copenhague (p. 136). Ce nouveau paradigme de construction s’ajoute ainsi à toutes les initiatives de partage de connaissances menées à l’international pour identifier des solutions pertinentes et innovantes. Ces solutions permettront, en fin de compte, de relever les défis de décarbonation, de résilience et d’adaptation. Ainsi, un futur raisonné de nos villes et de nos territoires sera-t-il envisageable.

AMC #323 : BQ+A - A-MAS/FBAA - COMBAS - ATELIER DE L'OURCQ
Périodiques
Année : 2024
Auteur : Olivier Namias
Editeur : ED LE MONITEUR MONITER
Description : Notre-Dame-des-tunnels Une capitale pour l'homme et pour le monde, la renaissance de mille et un bonheurs parisiens, la Seine comme avenue reliant la place de la Concorde au Havre… voilà quelques-uns des scénarios imaginés pour le Grand Paris en 2007. Une décennie plus tard, ces futurs évanouis sont remplacés par un supermétro qui servira huit millions de voyageurs. Evanouis avec eux, les débats byzantins sur le périmètre et la gouvernance de la métropole. La « mobilité » est au cœur du projet. Pour la modique somme de 36 à 42 Mds €, cinq lignes seront construites. Avec l'extension des lignes existantes, la métropole se dotera de nouvelles centralités… qui renforceront celles existantes, comme la ligne E, faisant de Chelles et Mantes-la-Jolie un faubourg de La Défense. Des experts parmi les plus avertis doutent de la prophétie autoréalisatrice qui voudrait que l'ouverture d'une gare provoque une polarité apte à limiter l'étalement urbain. Ces stations pourraient même l'augmenter dans leur périmètre, objectent-ils, le prix du foncier, la qualité des biens proposés, les services… restant pour les habitants aussi déterminants que l'accès. Sur cette question se joue une partie de l'avenir de plus de 300 nouveaux quartiers en développement. L'autre partie tient à leur forme, qui reste insaisissable. Reflet d'une époque, ces projets urbains partagent sans doute les mêmes objectifs de durabilité et de conscience environnementale qu'ils ne manqueront pas de revendiquer ; ils s'incarneront dans du néohaussmannien, du néorural et, peut-être, du néomoderne. Ils ont pour horizon commun la seule aubaine foncière. Où sont les projets suscitant le débat, tel Euralille en son temps, quoi que l'on pense de ce quartier ? Où est la pensée urbaine au-delà du fonctionnalisme ou de la grimace ? Reflet d'une époque où la gestion de projet et ses opérateurs l'emportent sur tout ? Signe de l'impossibilité d'une nouvelle utopie architecturale ? Aux architectes restent les gares, cathédrales du Grand Paris, et éventuellement des places publiques - ont-ils demandé plus ? Au XIXe siècle, l'opposition des fouriéristes aux saint-simoniens pouvait se résumer à une utopie des lieux - les phalanstères -contre une utopie des flux - les lignes de chemins de fer. Les flux l'emportent toujours, la boucle du supermétro constituant finalement le véritable monument de la mégapole, une Notre-Dame-des-Tunnels qui peine à nous transporter vers un avenir urbain radieux.

AMC #325 : STUDIOLADA - GUERVILLY MAUFFRET - BOUCHET - AAVP / DORMOY
Périodiques
Année : 2024
Auteur : Olivier Namias
Editeur : ED LE MONITEUR MONITER
Description : Éléphant cherche futur Frugalité : ce mantra d'une fraction d'architectes a élargi démesurément son audience lors des JO 2024. Au regard du retentissement planétaire du méga spectacle sportif, la promesse d'une olympiade frugale semblait tenir de l'oxymore. Quinze jours de compétition ont permis de mesurer la réalité du pari. Pas d'éléphants blancs tel le stade de Montréal 76, médaille d'or de l'endettement ; pas de complexe sportif comme celui d'Athènes, devenu terrain d'urbex. Paris s'est appuyée sur le déjà-là, en accord avec les directives élaborées par le CIO au début des années 2000, et suivant une logique qui tend à faire de l'espace urbain l'ultime équipement sportif, ainsi que le notaient nos confrères du Courrier des maires . Pas d'éléphants, mais pas de monuments non plus, tel le stade de Munich 72 conçu par Frei Otto. Paradoxe de l'époque : désireux de garder une trace d'un évènement pensé pour n'en laisser aucune, le débat est ouvert sur la conservation de la montgolfière qui éleva tous les soirs, pour un coût énergétique non communiqué, la flamme électrique de l'olympisme. En 1989, la tour de la Liberté conçue par les architectes Jean-Marie Hennin et Nicolas Normier pour le Bicentenaire quittait les Tuileries pour le plus grand bonheur des Déodatiens. Une façon pour Paris de redonner un peu à la France ? « Les jeux ne seront plus pareils », affirme la presse internationale, mettant au défi Los Angeles de faire mieux en 2028. Brisbane, désignée hôte des JO 2032, s'aligne d'ores et déjà sur les standards de la capitale française en affichant 85% d'infrastructures existantes, tout comme Los Angeles d'ailleurs. Suffit-il de rénover ses stades et de ripoliner ses vestiaires ? Les spectateurs, unanimes, désignent la Ville Lumière comme la star absolue de l'évènement. La perspective des Invalides pour le tir à l'arc, le grand canal de Versailles pour le concours hippique, l'obélisque de Louxor comme tremplin de BMX et la Seine pour le triathlon. La régénération de la ville est, depuis Barcelone (1992), l'argument majeur servi aux populations a priori peu mobilisées par les jeux. Il semblerait que ceux de Paris marquent l'inversion de cette logique : désormais, c'est la ville qui régénère les jeux. Encore faut-il avoir quelque chose à valoriser. Où sont le Grand Palais, la tour Eiffel et le grand canal de demain, décors des futurs JO 2124 ? Si les jeux olympiques doivent servir d'aiguillon, c'est d'abord à construire une ville suffisamment généreuse pour servir des siècles après la disparition des sociétés et régimes qui les ont vus naître, plutôt que de capitaliser interminablement sur les passés urbains glorieux et révolus. Ne serait-ce pas là une démarche vraiment durable ? (*) David Picot, « L'équipement sportif de demain ? La ville ! » Le Courrier des maires, 8 nov. 2017.

AMC #327 : KEMPE THILL / ATELIER 56S - COMPAGNIE - RAMILLIEN - LANDAUER - BOX ARQUITECTOS
Périodiques
Année : 2024
Auteur : Olivier Namias
Editeur : ED LE MONITEUR MONITER
Description : Submersion Dans une société hyperindustrielle fondée sur les flux ultrarapides, l'architecture, immobile et lente, se trouve à contretemps. Le temps long de son élaboration la place en décalage avec son époque, voire toujours en retard, même sur son propre cadre conceptuel. Les projets, conçus et réalisés en cinq à dix ans en moyenne, ne répondent déjà plus aux réglementations en vigueur lors de leur livraison. Les pratiques des usagers, elles-mêmes mouvantes et fugaces, devancent toujours le cadre bâti. Dernière évolution en date, l'immersion proposée par les industries culturelles (p. 10) . Son alignement sur les logiques d'expériences prégnantes dans la sphère marchande indique qu'il pourrait s'agir de bien plus qu'une mode : un tournant instaurant un nouveau rapport au monde et aux objets, où la sensation remplace la connaissance. La copie du réel transformé en décor peut alors suffire, et le Paris historique, être restitué sous forme de backlot dans les champs briards (p. 8) . Ce phénomène émergent de l'immersion se lance à la conquête de l'espace, en ajoutant une couche technologique dans les intérieurs, ainsi que l'on peut le voir dans quelques nouveaux lieux, tel le Grand Palais immersif à Paris, installé dans une aile de l'opéra Bastille restée vide depuis la livraison du bâtiment, en 1989. Le vaisseau qui devait rendre l'opéra populaire sert ironiquement de tremplin à ces manifestations qui laissent dubitatifs, quand d'autres lieux recyclent le patrimoine artistique - Van Gogh, Dali, Klimt. En revanche, des plasticiens explorent l'immersivité de manière convaincante : Olivier Ratsi, le duo Nonotak, Sabrina Ratté… inscrits dans une longue lignée d'artistes. On pense à Kurt Schwitters, Yayoi Kusama, Ugo La Pietra et son Uomouovosfera (p. 108), ou plus simplement, à l'art baroque, rappelant que l'architecture reste le premier art immersif. S'immerger dans un matériau, une couleur, une structure, une lumière, un espace sonore, c'est ce que ne cesse de faire l'architecture. Lassés de l'excitation des projections, les spectateurs voudront-ils retourner à l'immersion simple mais riche des espaces quotidiens, sans l'attelle high-tech et sa promesse de puissance ? Y aura-t-il des architectes et des maîtres d'ouvrage pour répondre au mieux à ces attentes et éviter que l'immersion ne devienne une nouvelle submersion ? Il n'est pas interdit de l'espérer.