AMC #328 : 2024, architecture en France


Auteur : Olivier Namias


Périodiques
Année : 2025
Editeur : ED LE MONITEUR MONITER
Description : L'air de rien Un prix d'architecture peut-il aujourd'hui récompenser autre chose qu'un bâtiment durable, inclusif, résilient et décarboné ? Les 25 réalisations nommées à l'Equerre d'argent possèdent évidemment ces vertus, et bien d'autres encore, dont la première est de rendre le monde habitable. Elles avancent sur la voie étroite tracée entre l'action et la discrétion. « Avoir l'air de rien, faire mine de rien » semble le mot d'ordre des concepteurs . On le voit à Paris, où DATA et Think Tank reconfigurent un passage frappé de péril qui rassemble une dizaine de bâtiments existants. Deux nouveaux sur rue et une façade vitrée, pour la sécurité incendie, donnent à l'ensemble faubourien des allures de mini-Beaubourg. Accorder un bricolage dissonant : cette logique se retrouve à Malakoff dans la réhabilitation d'un îlot industriel par Barre Bouchetard, à Strasbourg dans la refonte de l'INSA (COSA arch.), ou à Saint-Cloud pour le nouveau marché des Avelines (Tachon arch.). Toujours le rien à Bordeaux, sur le pont Simone-Veil (OMA), grâce à un minutieux travail de soustraction ne laissant de l'ouvrage d'art qu'une plateforme nue, appropriable. Et rien à Lyon, où la station de la ligne 3 efface ses efforts au profit de l'usage (AZC), ni à Herrlisheim (N01), où l'entrepôt municipal intègre les ressources physiques - eau, énergie - et humaines. Rien encore pour le téléphérique du Salève (DDA), lauréat de l'Equerre d'argent, dont la démarche complexe de simplification rétablit la hiérarchie entre l'œuvre commencée voilà cent ans par Maurice Braillard et le grand site naturel. Ce dialogue à travers les époques est perceptible à Paris dans le programme mixte La Sirène (Avenier Cornejo), arrimé à une opération résidentielle privée des années 70, ou dans l'ensemble de logements qui réconcilie l'héritage conflictuel des années 60 et de l'architecture ordinaire faubourienne (NRAU). A la caserne Mellinet à Nantes (Atelier Georges) ; aux Courtilières à Pantin (AUC), à la Grande Motte (Leclercq associés), ou au campus de la Bouloie à Besançon (Altitude 35), porteurs de la démesure des Trente Glorieuses ; à la plus modeste école de Lompret (Alt 174), l'architecture explore différentes façons de poursuivre celle existante. Elle plaide parfois, comme à Sarzeau (Carmen Maurice), Maiche (BQA), Cesson-Sévigné (O-S) ou Venarey-les Laumes (Guillaume Ramillien), pour une forme utile et forte ; une forme ouverte à Saint-Denis (Farid Azib) ou intemporelle à Bagneux (Tollila-Gilliland), manipulant éventuellement les formes usuelles du logement pavillonnaire (BRA). A Neuve-Maison, Studiolada en rappelle la dimension culturelle, exhumant trois « flamandes » vernaculaires pour en faire un repère dans un territoire virant au junkspace . L'architecture américaine inspire un modèle de logements denses à Parempuyre (GRAU/UR). Le secours de la forme pour en prolonger d'autres devient le secours de la structure pour un prolongement futur à Laguiole, avec le foirail conçu par Betillon / Freyermuth et Crypto. Autant de signes d'une architecture qui ne se pense plus comme un éternel présent, mais comme un moment dans une succession d'époques. Quoi de mieux qu'un téléphérique pour reprendre de l'altitude et retisser ce fil du temps ?