Urbanisme #428 : Energies
Périodiques
Année : 2022
Auteur : Julien Meyrignac
Editeur : SARL PUBLICATIONS D ARCHITECTURE ET D URBANISME PUBLIKASION ARCHITEKTUR URBANISM
Description : Quand nous avons inscrit, en octobre 2021, la question des énergies à notre calendrier éditorial, croyez-le ou non, nous avons dû faire face à bien des étonnements et interrogations. Or, vous qui lisez ces lignes, un an plus tard, vous êtes en train de vous demander – j’en suis certain – si la revue Urbanisme n’est pas en train de surfer sur la haute vague d’une crise qui touche désormais tout le monde et semble s’ancrer résolument dans le temps long. Pourtant, cette problématique ultrasensible des énergies a déjà produit, sur la courte échelle temporelle de la bascule de l’holocène à l’anthropocène, des évènements dramatiques (de guerres en crises) que nous n’avons pas pu ne pas voir, des conséquences sur l’environnement et le cadre de vie (pollutions, maladies…) que nous n’avons pas pu ne pas sentir et ressentir, une incidence croissante (jusqu’à devenir excessive) sur nos budgets que nous n’avons pas pu ne pas toucher. Nous n’avons pas eu envie de voir, de sentir, de toucher les impacts de l’évolution de nos modes de vie sur la planète et sur nos vies elles-mêmes. Les promesses de la mondialisation en matière de confort et pouvoir d’achat, opportunément catalysées par une énergie bon marché, étaient bien trop belles pour être assombries par des cas de conscience, pour être entachées d’éthique. D’autant que les industriels de l’exploitation et de la production d’énergie, de leur côté, s’appliquaient à rendre les questions de fond – ressources, émissions, déchets ultimes, etc., – presque parfaitement invisibles au plus grand nombre. Permettant ainsi, jusqu’à une période encore très récente, à chacun de se bercer d’illusions et autres pensées magiques, et aux acteurs de l’urbanisme de faire de cette question le plus invraisemblable et regrettable impensé de leurs projets. Notez à ce stade que si réveil il y a, personne n’a manifestement retenu la leçon, tant les acteurs du digital et de la logistique appliquent aujourd’hui avec succès les mêmes recettes d’invisibilité pour déculpabiliser les masses. Alors, que s’est-il passé en un an ? Dans les discussions quotidiennes, certains évoquent la guerre en Europe, et quand on leur rappelle qu’elle a commencé en 2014 avec l’annexion de la Crimée, ils précisent : les conséquences économiques de la guerre, et tout particulièrement la rupture d’approvisionnement en gaz de l’Europe par la Russie. S’ensuit généralement un débat entre néo-experts – comprendre informés – alternant géopolitique de l’épicerie (la moutarde), complotisme soft (les mains occultes) et inquiétudes non feintes (y aura-t-il de l’essence à Noël ?). Plus sérieusement, ce qu’il s’est passé en un an, c’est qu’une grande partie de la population s’estimant jusqu’alors pas ou peu concernée a touché du doigt sa dépendance énergétique, comprenant par là même que les ressources sont limitées et sensibles. Mais surtout, en conséquence, cette population a commencé à payer le prix de ses existences dispendieuses ; et brutalement atteinte au porte-monnaie, elle se surprend aujourd’hui à prononcer plus que volontiers, avec espoir, les mots sobriété et transition. De telle sorte qu’un numéro d’Urbanisme consacré à l’énergie prend aujourd’hui forme d’évidence.

Urbanisme #430 : Prospective - Au défi des utopies et du réel
Périodiques
Année : 2023
Auteur : Julien Meyrignac
Editeur : SARL PUBLICATIONS D ARCHITECTURE ET D URBANISME PUBLIKASION ARCHITEKTUR URBANISM
Description : Au retour d’une pause hiémale dont le principal bénéfice fut, sans aucun doute, la déconnexion numérique, sautant dans le grand bain médiatique (presse x chaînes d’information x réseaux sociaux), j’ai manqué périr tout à la fois noyé et démembré par le tsunami glauque des points de vue. Car il n’y a plus d’information désormais, il n’y a que des avis. Si le succès des réseaux sociaux tient depuis l’origine à la possibilité offerte à tout un chacun d’être un commentateur (contempteur) de tout sujet aussi sophistiqué ou trivial soit-il, si cela fait longtemps déjà que la télévision et la radio sont les empires des chroniqueurs, nous ne pouvons que constater qu’une presse quotidienne, en se réduisant elle-même au rôle de relais desdites opinions qu’elle capture, engraisse et libère dans ses pages, a renoncé à l’information. Tout du moins au sens que lui donnaient ses pères contemporains, parmi lesquels Hubert Beuve-Méry. Cela fait longtemps que la prudence nous enjoint de vérifier ce qui est avancé, et nous avons pris l’habitude de vérifier qui parle. Mais il est de plus en plus difficile de le savoir, dans la mesure où l’erreur d’analyse (intentionnelle ou non) de quelqu’un n’ayant d’autre motivation que d’affermir sa posture est désormais reprise en canon dans tous les canaux médiatiques. Exemples les plus connus : l’artificialisation des sols qui représenterait la surface d’un département français toutes les x années selon les sources et Paris qui serait la ville la plus dense du monde. Dans le déferlement des avis, les voix des sachants (académiques ou professionnels experts) sont couvertes par le bruit assourdissant des apprentis-sorciers, des grandes gueules et autres colporteurs en plein exercice de placement de produits, qu’il s’agisse d’eux-mêmes ou d’une offre « étagère » miracle. Mais il y a plus grave : la diffusion de la parole et des actes militants non pas pour ce qu’ils sont – le plus souvent fondés, sinon nécessaires –, mais pour « l’objectivité » des enjeux auxquels ils s’attachent et la « nécessité » des actions qu’ils conduisent. Jusqu’à l’étourdissement, au mirage d’une justice citoyenne qui n’est pas sans rappeler de bien mauvais souvenirs historiques. Ainsi, quand un grand quotidien national soutient tacitement les « dégonfleuses » de SUV au nom de la lutte climatique, on ne peut s’empêcher de se demander quel regard il porte à cet égard sur le développement massif du chauffage au bois par les ménages les plus fragiles. Et surtout de se dire : qu’est-ce qui vient après le dégonflage ? Du bruit, encore du bruit, toujours du bruit. Le grand espace digital, cette promesse de connaissance universelle et d’augmentation de l’humanité est une nouvelle tour de Babel, un endroit où règnent le bruit, la confusion et où les gens ne se comprennent pas. Dans les anciennes langues sémitiques, Bāb‑Ilum désigne « la porte des dieux », mais, dans la Bible, la racine BLBL signifie « bredouiller », « confondre » ; on la retrouve dans le verbe babiller qui veut dire « parler beaucoup », d’une manière enfantine. Pas bien grave donc ? Si, car les approximations et les fake facts composent un maelström de biais dans lequel nous – humains – piochons allègrement, sans précaution ; mais pas aussi bien que ChatGPT qui achèvera d’en faire, au gré des volumes de reprises qui fondent ses statistiques, des vérités. Dans l’Ancien Testament, la tour de Babel est abandonnée par les hommes éreintés : ne serait-ce pas la plus grande utopie contemporaine ?

Urbanisme NS #3 : Grand prix national du paysage 2022 - La sobriété partagée
Périodiques
Année : 2023
Auteur : Julien Meyrignac
Editeur : SARL PUBLICATIONS D ARCHITECTURE ET D URBANISME PUBLIKASION ARCHITEKTUR URBANISM
Description : Des paysages en mouvement Effondrement de la biodiversité et les conséquences du changement climatique nous obligent à changer de paradigme, à redéfinir nos manières d’habiter et d’aménager nos territoires et, en somme, à innover. Au siècle dernier, l’aménagement de nos villes et nos campagnes s’est fait sans forcément prendre en compte la consommation foncière : les terres agricoles étaient abordables, le modèle du pavillon de périphérie déployé sur de larges parcelles plébiscitées, et l’implantation de grands centres commerciaux aux périphéries des villes répondait à un besoin des habitants et de l’économie. L’étalement urbain a ainsi été vu, à tort, comme une solution durant plusieurs années, sans qu’il ne s’impose de limites. Ce modèle a vécu. L’actualité des derniers mois en témoigne : nous sommes engagés aujourd’hui dans une reconquête de nos espaces délaissés, de notre sol et de nos espaces naturels. La loi climat et résilience a imposé des limites à la consommation foncière. Elle vise un objectif de « zéro artificialisation nette » en 2050, ainsi que la division par deux du rythme d’artificialisation nouvelle à dix ans. Cette loi s’intéresse pour la première fois à la question de l’atteinte à la fonctionnalité des sols et à l’importance du sol vivant. Elle est fondatrice car elle permet de comprendre que les ressources ne sont pas inépuisables. Cette reconquête passe également par la réappropriation des franges urbaines : espaces de contact entre la ville dense et son environnement immédiat, elles ont longtemps été dépréciées. Aménagées et valorisées, elles offrent alors de nouveaux espaces publics pour les citoyens et des structures paysagères renforcées, favorables à la biodiversité. C’est bien dans cette optique que le ministère a lancé la troisième édition de l’appel à projets fonds friches, doté de 100 millions d’euros. Les citoyens demandent par ailleurs, à juste titre, plus de nature en ville : c’est une priorité. Le gouvernement a ainsi mis en place récemment un fonds d’accélération de la transition écologique dans les territoires : ce nouveau fonds de 2 milliards d’euros, placé sous la responsabilité du ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, Christophe Béchu, permettra de soutenir les projets des collectivités territoriales en faveur de la transition écologique. Il visera notamment à soutenir la performance environnementale des collectivités, l’adaptation des territoires au changement climatique et l’amélioration du cadre de vie. Ces différents leviers tendent vers l’exigence d’une plus grande sobriété, qui trouve sa pleine expression dans le projet lauréat du Grand Prix national du paysage de valorisation et de restauration du cap Fréhel, porté par le paysagiste Alain Freytet et le Conservatoire du littoral. Ce projet m’a séduite. Il est venu réparer, en quelque sorte, un paysage abîmé par l’homme, sans mettre de côté l’accès au site par le plus grand nombre. Ce projet, et plus largement le Grand Prix national du paysage, démontre combien l’innovation paysagère anime le processus de transformation des territoires, et met en lumière le rôle fondamental du paysagiste concepteur pour des territoires en mouvement. Si la défense de la qualité du paysage n’a pas toujours été prioritaire, je crois aujourd’hui ce combat en passe d’être gagné. Les mentalités évoluent, et nous devons nous en réjouir. Ensemble, continuons à œuvrer pour préserver la qualité de nos paysages, à les faire vivre.

Urbanisme #431 : L'eau, commun exceptionnel
Périodiques
Année : 2023
Auteur : Julien Meyrignac
Editeur : SARL PUBLICATIONS D ARCHITECTURE ET D URBANISME PUBLIKASION ARCHITEKTUR URBANISM
Description : L’eau n’est pas qu’un élément. Elle n’est pas qu’une ressource parmi d’autres. Elle n’est pas qu’une matière conjoncturelle, qu’un objet de crise. Les imaginaires collectifs et les récits, les religions et les sciences toujours nous le rappellent, sur tous les continents et à travers les âges : l’eau est la matière de toute chose vivante. Et par sa nature existentielle, elle est duale : à la fois nourricière – source de tout épanouissement végétal, animal et humain – et rageuse, dévastatrice. Depuis toujours, les hommes s’emploient à la contraindre pour s’en protéger, à la contrarier pour en tirer parti, jusqu’à la dilapider par une surconsommation négligente, la dénaturer en la polluant. Fondamentalement conscients, sans aucun doute, de la gravité de leurs décisions et de leurs conséquences, mais prêts à tout pour le « progrès », justifiant souvent leurs captations par la nécessaire lutte contre l’eau « mauvaise » : assainir, pour éradiquer la polio ; assécher, pour venir à bout du « palu » ; endiguer, pour empêcher les crues, et tant mieux si cela favorise l’irrigation. Mais, en cette aube millénaire, le cumul des effets délétères de la suractivité humaine dans un monde globalisé – changement climatique, choc démographique, perte de conscience du vivant et marchandisation de toute chose (…) –, les populations de l’hémisphère nord sont engagées sur un chemin de Damas. Face aux pénuries, le stress issu de la raréfaction de la ressource n’est plus une problématique lointaine de pays en voie de développement, au Sahel ou ailleurs. Leurs croyances (illusions ?) sont en train de s’effondrer, et il leur faut – de toute urgence – changer de postures à tous les niveaux de compétences et de responsabilités. Changer des lois héritées d’époques révolues qui privilégient les questions sanitaires et économiques à celles des valeurs et consistances des ressources. Changer les modèles de gouvernance qui les ont accompagnées (délégations de service public). Changer les partis de conception urbaine, paysagère et architecturale pour s’éloigner de l’accessoire – les trames bleues, les noues, les toits-terrasses, etc. – et se concentrer sur le principal : garantir à toutes les populations un accès responsable à la ressource. Et à ce titre, faire preuve d’imagination, pour ne pas verser dans des équilibres budgétaires discutables sur le plan social (coût indexé sur la consommation). Cela demande, aussi, de reconsidérer certaines options techno-économiques, telle la désalinisation de l’eau de mer, déjà massivement mise en oeuvre à nos portes (Catalogne), mais au coût énergétique – donc climatique – qui peut être jugé exorbitant. Pour parvenir à faire face à cette grande cause nationale, ce qui implique de s’extraire des pressions des lobbys et autres intérêts régionaux ou catégoriels, un grand débat semble absolument nécessaire. Mais cette formule a-t-elle encore une chance d’accoucher d’un projet de société ? Paul Claudel a écrit : « Toute eau nous est désirable ; et, certes, plus que la mer vierge et bleue, celle-ci fait appel à ce qu’il y a en nous entre la chair et l’âme, notre eau humaine chargée de vertu et d’esprit, le brûlant sang obscur1. » L’eau est un élément métaphysique et passionnel, qui se révèle quand elle vient à manquer ou excéder (osons le dire : comme l’amour). Il n’est pas facile, mais absolument nécessaire, de prendre aujourd’hui les décisions afin qu’elle nous maintienne et non nous emporte.