La revue Urbanisme #435 : La clé des solsPériodiquesAnnée : 2024Auteur : Julien MeyrignacEditeur : SARL PUBLICATIONS D ARCHITECTURE ET D URBANISME PUBLIKASION ARCHITEKTUR URBANISMDescription : Selon la Genèse, le Créateur a puni Adam et Ève pour avoir goûté le fruit de l’arbre de la connaissance du bien et du mal, en les renvoyant du jardin d’Éden et en leur imposant de cultiver la terre pour subsister. Leur fils Caïn, attelé à cette tâche, fut condamné pour avoir tué son frère (et souillé la terre de son sang) à ne plus pouvoir la cultiver, car son crime l’avait rendu infertile, et à devenir un vagabond. Un destin que Caïn refusa en créant la première ville qu’il nomma du nom de son fils Hénoch. La tradition judéo-chrétienne a inscrit culturellement les sols comme ressources et objets de malédiction, mais aussi facteur déterminant des regroupements humains, ce que semble confirmer – dans les grandes largeurs – l’archéologie : les premières villes ont été érigées dans des régions de sols fertiles, où l’activité agricole s’est développée au point de passer d’une économie de subsistance à une économie de production au service d’activités de commerce. Urbanisme #440 : GénérationsPériodiquesAnnée : 2024Auteur : Julien MeyrignacEditeur : SARL PUBLICATIONS D ARCHITECTURE ET D URBANISME PUBLIKASION ARCHITEKTUR URBANISMDescription : Il y a soixante ans, un groupe de gamins de Londres – The Who – a contribué à installer le rock comme mouvement de subversion sur le sol européen, en prenant violemment à partie les sociétés conservatrices, dans une chanson dont le premier couplet est conclu par une sentence irrévocable : « I hope I die before I get old (Talkin’ ’bout my generation)… »
Cet appel à la révolte contre des aînés, accusés d’être mus par de bas instincts et de museler la jeunesse et ses idéaux de justice, est une des premières références populaires et médiatiques de saillies comminatoires de la jeunesse contre les générations qui la précèdent. Et d’innombrables lui ont succédé, dont les plus récentes et marquantes sont sans conteste celles de Greta Thunberg.
Des prises de position qui peuvent être considérées comme des réactions en légitime défense face aux continuelles critiques des « adultes » contre la jeunesse et les jeunes, jugés – partout et de tout temps – irresponsables, fainéants, etc.
Si nous avons tous conscience que ce qui vient d’être énoncé n’est que le pur produit de préjugés certes répandus, mais peu robustes, certains journalistes et médias n’hésitent pas à alimenter aujourd’hui le dissensus. Notamment sur les sujets qui le cristalliseraient tout particulièrement : l’écologie et le climat.
Or, comme l’ont démontré de nombreuses enquêtes, les préoccupations environnementales varient moins à travers les âges qu’à travers les classes sociales et niveaux de diplômes.
De même, quand Salomé Saqué affirme que « les jeunes ont rarement voix au chapitre », de nombreux observateurs n’ont aucune peine à lui objecter que, de toute évidence, jamais, avant aujourd’hui, ils n’ont autant eu l’occasion de se faire entendre et de diffuser leurs convictions. Notamment, par la grâce du mass marketing digital, qui place la jeunesse au cœur de la désirabilité acheteuse (cf. les seniors en sneakers et cheveux faussement en bataille des publicités).
Si l’intergénérationnel s’invite dans toutes les réflexions et tous les discours sur l’avenir de la société, des villes et des territoires, difficile de ne pas constater à quel point les marchands de biens et services s’appliquent, au contraire, à stratifier les populations et communautés en tranches d’âge toujours plus nombreuses.
L’exemple le plus connu en la matière étant, sans aucun doute, celui de l’émergence des « pré-adolescents », sous la pression des industries du textile et des loisirs, qui a permis de considérer que l’on devient un consommateur (de mode, de téléphonie, etc.) à partir de 9 ou 10 ans.
Et si la notion de génération se révèle aussi persistante, alors même qu’au quotidien, dans l’espace public, les équipements ou autres, les frontières entre les âges n’ont jamais été aussi ténues et poreuses, c’est sans doute parce que derrière « intergénérationnel » se cache « solidarité » : quand une collectivité met en œuvre une politique ou un projet destiné à une catégorie d’âge, c’est en réalité, presque toujours, pour les populations les plus fragiles qui la composent. Il en est ainsi des politiques de la jeunesse ou du grand âge.
Ce qui pose un double problème : l’intergénérationnel n’est jamais une politique adressée à toutes les générations (pour preuve, l’invisibilité des actifs de 35 à 55 ans), et notre pays reste en attente d’une vraie grande politique de solidarité. Urbanisme #441 : Dense dense densePériodiquesAnnée : 2025Auteur : Julien MeyrignacEditeur : SARL PUBLICATIONS D ARCHITECTURE ET D URBANISME PUBLIKASION ARCHITEKTUR URBANISMDescription : Dans l’imaginaire collectif mondial, la ville dense, compacte ou haute (ou les deux à la fois) ne représente que deux réalités principales, diamétralement opposées : la grande prospérité ou la déchéance.
Jay McInerney a très bien écrit, dans son premier roman Bright Lights, Big City (1), l’attraction irrésistible des grandes villes, en l’occurrence New York, pour toutes celles et tous ceux – notamment les jeunes adultes – qui désirent prendre leur destin en main.
Des villes idéalisées, fantasmées, ou plus prosaïquement envisagées comme seul lieu possible pour un changement de condition, une élévation. Des villes dont la promesse irradiante dissimule une réalité économique et sociale aliénante, qui corrompt les ambitions et les corps des plus nombreux, à coups de déceptions et d’expédients, d’alcool et de drogues.
Cette représentation caractérise toujours une réalité contemporaine : au registre des grandes espérances urbaines, beaucoup d’appelés et peu élus ; reste donc le passage quasi obligé (études, emploi).
Dans leur immense majorité, les travailleurs des classes populaires, moyennes et même supérieures ne parviennent pas ou plus à vivre dans les cœurs des métropoles, qu’ils quittent dès lors que leur situation familiale change ou qu’ils décident de se soustraire à des conditions de mal-logement devenues pour eux inacceptables, qu’elles s’appellent colocation, exiguïté ou exorbitance.
Des trajectoires quasi immuables du fait des logiques en place de l’économie urbaine, qui conduisent, dans nos sociétés libérales, au renchérissement perpétuel de l’immobilier et du coût global de la vie dans les grandes villes. Plus c’est cher, plus elles s’élèvent ; plus elles s’élèvent, plus c’est cher.
La ville haute est symptomatique de la ségrégation sociale – de New York à Dubaï en passant par Hong Kong et Singapour –, alors même que la ségrégation concerne tout autant la ville étalée – de Los Angeles au Caire, en passant par Tokyo.