AMC #325 : STUDIOLADA - GUERVILLY MAUFFRET - BOUCHET - AAVP / DORMOY
Périodiques
Année : 2024
Auteur : Olivier Namias
Editeur : ED LE MONITEUR MONITER
Description : Éléphant cherche futur Frugalité : ce mantra d'une fraction d'architectes a élargi démesurément son audience lors des JO 2024. Au regard du retentissement planétaire du méga spectacle sportif, la promesse d'une olympiade frugale semblait tenir de l'oxymore. Quinze jours de compétition ont permis de mesurer la réalité du pari. Pas d'éléphants blancs tel le stade de Montréal 76, médaille d'or de l'endettement ; pas de complexe sportif comme celui d'Athènes, devenu terrain d'urbex. Paris s'est appuyée sur le déjà-là, en accord avec les directives élaborées par le CIO au début des années 2000, et suivant une logique qui tend à faire de l'espace urbain l'ultime équipement sportif, ainsi que le notaient nos confrères du Courrier des maires . Pas d'éléphants, mais pas de monuments non plus, tel le stade de Munich 72 conçu par Frei Otto. Paradoxe de l'époque : désireux de garder une trace d'un évènement pensé pour n'en laisser aucune, le débat est ouvert sur la conservation de la montgolfière qui éleva tous les soirs, pour un coût énergétique non communiqué, la flamme électrique de l'olympisme. En 1989, la tour de la Liberté conçue par les architectes Jean-Marie Hennin et Nicolas Normier pour le Bicentenaire quittait les Tuileries pour le plus grand bonheur des Déodatiens. Une façon pour Paris de redonner un peu à la France ? « Les jeux ne seront plus pareils », affirme la presse internationale, mettant au défi Los Angeles de faire mieux en 2028. Brisbane, désignée hôte des JO 2032, s'aligne d'ores et déjà sur les standards de la capitale française en affichant 85% d'infrastructures existantes, tout comme Los Angeles d'ailleurs. Suffit-il de rénover ses stades et de ripoliner ses vestiaires ? Les spectateurs, unanimes, désignent la Ville Lumière comme la star absolue de l'évènement. La perspective des Invalides pour le tir à l'arc, le grand canal de Versailles pour le concours hippique, l'obélisque de Louxor comme tremplin de BMX et la Seine pour le triathlon. La régénération de la ville est, depuis Barcelone (1992), l'argument majeur servi aux populations a priori peu mobilisées par les jeux. Il semblerait que ceux de Paris marquent l'inversion de cette logique : désormais, c'est la ville qui régénère les jeux. Encore faut-il avoir quelque chose à valoriser. Où sont le Grand Palais, la tour Eiffel et le grand canal de demain, décors des futurs JO 2124 ? Si les jeux olympiques doivent servir d'aiguillon, c'est d'abord à construire une ville suffisamment généreuse pour servir des siècles après la disparition des sociétés et régimes qui les ont vus naître, plutôt que de capitaliser interminablement sur les passés urbains glorieux et révolus. Ne serait-ce pas là une démarche vraiment durable ? (*) David Picot, « L'équipement sportif de demain ? La ville ! » Le Courrier des maires, 8 nov. 2017.

AMC #327 : KEMPE THILL / ATELIER 56S - COMPAGNIE - RAMILLIEN - LANDAUER - BOX ARQUITECTOS
Périodiques
Année : 2024
Auteur : Olivier Namias
Editeur : ED LE MONITEUR MONITER
Description : Submersion Dans une société hyperindustrielle fondée sur les flux ultrarapides, l'architecture, immobile et lente, se trouve à contretemps. Le temps long de son élaboration la place en décalage avec son époque, voire toujours en retard, même sur son propre cadre conceptuel. Les projets, conçus et réalisés en cinq à dix ans en moyenne, ne répondent déjà plus aux réglementations en vigueur lors de leur livraison. Les pratiques des usagers, elles-mêmes mouvantes et fugaces, devancent toujours le cadre bâti. Dernière évolution en date, l'immersion proposée par les industries culturelles (p. 10) . Son alignement sur les logiques d'expériences prégnantes dans la sphère marchande indique qu'il pourrait s'agir de bien plus qu'une mode : un tournant instaurant un nouveau rapport au monde et aux objets, où la sensation remplace la connaissance. La copie du réel transformé en décor peut alors suffire, et le Paris historique, être restitué sous forme de backlot dans les champs briards (p. 8) . Ce phénomène émergent de l'immersion se lance à la conquête de l'espace, en ajoutant une couche technologique dans les intérieurs, ainsi que l'on peut le voir dans quelques nouveaux lieux, tel le Grand Palais immersif à Paris, installé dans une aile de l'opéra Bastille restée vide depuis la livraison du bâtiment, en 1989. Le vaisseau qui devait rendre l'opéra populaire sert ironiquement de tremplin à ces manifestations qui laissent dubitatifs, quand d'autres lieux recyclent le patrimoine artistique - Van Gogh, Dali, Klimt. En revanche, des plasticiens explorent l'immersivité de manière convaincante : Olivier Ratsi, le duo Nonotak, Sabrina Ratté… inscrits dans une longue lignée d'artistes. On pense à Kurt Schwitters, Yayoi Kusama, Ugo La Pietra et son Uomouovosfera (p. 108), ou plus simplement, à l'art baroque, rappelant que l'architecture reste le premier art immersif. S'immerger dans un matériau, une couleur, une structure, une lumière, un espace sonore, c'est ce que ne cesse de faire l'architecture. Lassés de l'excitation des projections, les spectateurs voudront-ils retourner à l'immersion simple mais riche des espaces quotidiens, sans l'attelle high-tech et sa promesse de puissance ? Y aura-t-il des architectes et des maîtres d'ouvrage pour répondre au mieux à ces attentes et éviter que l'immersion ne devienne une nouvelle submersion ? Il n'est pas interdit de l'espérer.

AMC #329 : LAN - FACE B - ATELIER DU PONT - EJO
Périodiques
Année : 2025
Auteur : Olivier Namias
Editeur : ED LE MONITEUR MONITER
Description : L'enfance des villes. Quelle que soit la forme que l'on tente de lui donner, la ville ne serait-elle qu'une question de point de vue ? Ratissant large, Rem Koolhaas brandissait en 2000 le spectre de Lagos comme futur dystopique. En invitant à reconsidérer nos villes européennes à l'aune des pays émergents, il brandissait un contre-modèle tenant de l'épouvantail. Ses confrères ne s'étaient pas privés de crier à la supercherie. Ces dernières années, le cauchemar de la surpopulation a laissé place à celui de l'effondrement du vivant, recentrant le regard de la géographie à la biologie. La philosophe et psychologue Vinciane Despret nous invite à « habiter en oiseau », dans une logique de « zoodiversité inclusive » qui pourrait s'appliquer à de nombreuses autres espèces. L'on pourrait sans la moindre ironie imaginer habiter en mulot ou en truite, pour apprendre à regarder autrement nos espaces urbains. La légitimité des différents points de vue fait courir le risque d'un relativisme absolu finissant dans une impasse. Des outils forgés durant l'entre-deux-guerres permettraient d'en sortir. Remis en lumière par l'ouvrage Ecologie humaine (p.106), les psychologues hambourgeois Martha et Hans Heinrich Muchow distinguaient le monde de la vie (Lebenswelt) - l'espace existant objectif, à la disposition de tous - du monde vécu (gelebte Welt) propre à chacun. Ces deux concepts étaient utilisés pour comprendre l'espace urbain tel qu'il était vécu par cet être proche et lointain que nous avons tous été : l'enfant. Si les comportements varient selon l'âge, le détournement des artefacts urbains semble une constante, et déjoue souvent les intentions des urbanistes. L'imagination invite à tirer profit des moindres accidents. C'est le fameux talus maçonné, relief source de risque qu'un réflexe tentera d'aplanir, qui devient toboggan ou montagne. Repenser l'aménagement au prisme de l'enfant n'est pas seulement faire une ville plus sûre et plus ludique, ce qui serait déjà suffisant. Aménager pour protéger l'enfant d'une circulation meurtrière qui l'a chassé de la rue (20 000 morts entre 1920 et 1930 aux Etats-Unis), c'est poursuivre le réaménagement de l'espace public et modeler lentement mais sûrement la ville postroutière. Les « rues aux enfants » à Paris ou ailleurs sont un exemple d'une politique urbaine ciblant une population mais profitant à tous. Dans une société qui se segmente en d'innombrables familles, il faut prêter attention à cette forme d'inclusivité non exclusive !